Chère Souad
Vous me voyez extrêmement peiné d'apprendre cette triste nouvelle de la perte de votre père Ahmed Lazhar Sellami. Je vous présente ainsi qu'à votre famille mes plus sincères condoléances.
Lors de notre rencontre à Fribourg, vous m'aviez déjà fait part de l'état de santé très fragile de si Ahmed et vos craintes quant à sa dégradation. Nous avions alors évoqué le temps où votre père, un ami personnel de Mohammed Harbi, nous avait accueillis dans ses locaux du boulevard Salah Bouakouir devenu Bd Krim Belkacem par la suite.
C'était dans la deuxième moitié des années 1980 au temps où, dans un pays pris entre le durcissement du régime de parti unique, les dogmatismes des partis d'opposition et la montée des périls qui guettaient la société, nous nous interrogions sur le devenir de nos luttes. Après la dissolution de nos syndicats et l'interdiction de toute publication critique ou indépendante, nous discutions de la part que nous pouvions prendre dans les luttes politiques et les mouvements sociaux qui prenaient de plus en plus d'ampleur. En octobre 1988, la répression qui s'est abattue sur les manifestations populaires a poussé les universitaires algériens à tenir des assemblées générales desquelles sont sortis le comité de lutte contre la torture (CLCT) et le comité de coordination inter-universitaire pour la démocratie.(CCIU). Les membres de ce dernier comité dont je faisais partie ont pris la décision de publier un Bulletin de liaison pour rendre compte de l'événement et laisser une trace pour les temps à venir. Nous avions besoin d'un local pour éditer ce bulletin.
C'est Mohammed Harbi qui nous a recommandé à Ahmed Sellami, un de ses anciens compagnons de lutte du temps de la Fédération de France du FLN. Propriétaire de vastes locaux au 67 boulevard Salah Bouakouir, il nous a gracieusement donné asile et nous avons ainsi pu y tenir nos réunions et publier, grâce à l'imprimerie mitoyenne qu'il possédait, les trois numéros de ce Bulletin qui, grâce à si Ahmed Sellami, fera trace dans l'histoire des événements d'octobre 1988.
Des retombées de ces événements d'octobre 1988, un vent de réformes a soufflé sur le pays et les premières initiatives d'une presse libre ont accompagné la naissance de partis politiques d'opposition au régime du part-Etat. Riches de l'expérience du bulletin de liaison du CCIU, un autre groupe plus restreint a décidé de lancer la revue NAQD d'études et de critique sociale. Le premier numéro de cette revue daté de décembre 1991-février 1992 y a vu le jour de même que les cinq autre qui ont suivi.
Je peux dire ici, dans cette modeste évocation que si Ahmed Sellami a été dans l'anonymat et la générosité qui le caractérisait pour beaucoup dans ce que la pensée critique libre et indépendante est devenue dans u pays en crise perpétuelle.
Je vous prie de croire chère Souad en l'expression de ma profonde compassion devant la perte d'un tel ami des causes justes.
Daho Djerbal